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Published on: Presse

Faire beaucoup avec peu

Nul besoin de présenter Charles Darwin, biologiste et père de la théorie de l’évolution. Il soutient que les êtres vivants peuvent s’adapter à leur milieu durant leur vie et transmettre ces adaptations à leur descendance. Il ajoute que les plus adaptés au milieu transmettent mieux leurs caractères que ceux qui le sont moins.

Née dans le contexte de la biologie, cette théorie peut aussi être vue sous l’angle du traitement de l’information. Disons-le autrement : l’évolution serait-elle une forme d’apprentissage ? Et dans cette hypothèse, quelle information est-elle apprise et transmise ?

Depuis les premières cellules jusqu’aux êtres vivants actuels, l’évolution a produit une multitude de formes de vie organisée. Et les naturalistes s’emploient à les classer tels des généalogistes de la vie. C’est ainsi que des millions d’années d’évolution ont produit des organismes adaptés à leur niches écologiques : les baleines bleues, les pinsons, les taupes, les crabes, les ornithorynques, les tardigrades ou les paresseux…

Sous la lunette du traitement de l’information, le produit de l’évolution est un condensé des expérimentations qui fonctionnent dans chaque environnement. Ce qui ne fonctionne pas disparaît et ce qui ne fonctionne plus fait le bonheur des paléontologues. La marque du succès est de rester en vie. Tout simplement. Mais rester en vie n’est pas assez précis. La finalité de la vie est de se transmettre. Ainsi, la sélection naturelle n’opère pas sur les individus mais sur ce qu’ils transmettent. Ce qu’on appelle les gènes. Pour Richard Dawkins qui défend cette position (Dawkins, 2003), « nous sommes des robots programmés à l’aveugle pour préserver les molécules égoïstes connues sous le nom de gènes ».

Les magnifiques arbres de l’évolution peuvent donc être remplacés par des arbres génétiques qui sont certes beaucoup moins beaux à regarder mais probablement plus au cœur du phénomène de la vie.

Mais en sommes-nous vraiment sûrs ? Les gènes ne sont pas des composés immortels. Ce sont des supports matériels qui codent une information. Chez l’homme, nos 23 paires de chromosomes contiennent 3 milliards de paires de lettres A, T, G, C. Quelle quantité d’information cela représente-t-il ? Suivant en cela Stanislas Dehaene (Dehaene, 2018), chaque lettre code pour 2 bits car il y a 4 lettres possibles et un génome humain se réduit à 750 Mo d’information.

Le plan de l’homme tient donc dans un CD-ROM.

Or c’est le contenu de ce CD-ROM qui se transmet de générations en générations. Les gènes sont seulement le support de cette information, de ces messages qui se transmettent. C’est cela qui survit. La sélection naturelle est donc un mécanisme qui favorise la transmission des messages adaptés à un environnement donné et à un moment donné.

Cette lecture originale nous est proposée par les auteurs du Fil de la vie (Dessalles, Gaucherel, & Gouyon, 2016) qui la résument par une formule lapidaire : l’information serait le véritable « fil de la vie ».

Depuis la nuit des temps, le vivant réalise ainsi une myriade de tentatives pour transmettre ses messages.  L’algorithme de la sélection naturelle sans intention aucune conserve ce qui fonctionne et écarte ce qui ne fonctionne plus. Les messages sont ainsi les traces du passé qui ne sont pas de simples bouteilles jetées au fil du temps, contenant un vieux parchemin flétri. Les messages contiennent un algorithme.

Le CD-ROM de 750 Mo d’information rassemble tout ce que la vie a appris au cours de son processus de sélection.

Mais qu’a-t-elle donc appris ? Est-ce le plan fini des différents organismes, qu’il suffirait de suivre à la lettre ? Si tel était le cas, les gènes porteraient un message produisant des organismes matures, prêts à l’emploi. Or, nous savons tous qu’il n’en est rien. Tous les organismes vivants naissent en devenir. Du ver de terre à l’hippopotame, tous naissent avec une capacité d’apprentissage. Ils ne sont pas exclusivement précâblés.

La sélection naturelle est parfaite pour l’adaptation à une niche écologique mais l’algorithme est lent. Terriblement lent. Cet apprentissage peut prendre des centaines d’années. Il est parfois beaucoup plus rapide, comme pour la phalène du bouleau qui s’est adaptée à la pollution au charbon dans les années 1850 en Angleterre. Ce papillon a changé sa couleur du blanc au noir… puis du noir au blanc lors de la disparition des mines de charbon. Mais il faut que des générations disparaissent pour que l’apprentissage réussisse.

La vie a donc trouvé la clef qui permet le bon compromis. Ce qui est stable et régulier s’inscrit dans le corps : le haut, le bas par la gravitation, la chaleur par les rayonnements, les sons par les différences de pression. Nul besoin d’apprendre à créer des yeux pour voir ou des bras pour agir. Cela est fait par l’apprentissage de l’espèce. C’est ce qu’on appelle l’inné.

Le reste doit être acquis. Que voit-on dans l’environnement avec nos yeux ? Des horizontales, des verticales, quelles couleurs, quelles vitesses ? Comment communiquer avec mes congénères ? Comment m’insérer dans ma société et acquérir ses règles ?

Et voici que la grande question de l’apprentissage surgit au cœur de notre réflexion. Le CD-ROM de la vie ne transmet pas un plan définitif de l’organisme. Il transmet le plan d’un système qui est préparé pour se développer dans son environnement mais qui va devoir apprendre par lui-même à s’y épanouir. Le CD-ROM contient donc un algorithme capable de construire un système qui va apprendre : un méta-algorithme.

Dans nos précédents articles, nous avons décortiqué l’auto-organisation qui est à la manœuvre dans le cortex cérébral et découvert qu’elle façonnait la perception à partir des seules stimulations. Cette auto-organisation découle de la structure des colonnes corticales, elles-mêmes fruit de l’évolution. Ces colonnes corticales sont précâblées mais elles vont subtilement se modifier pour faire émerger des formes de connaissance : reconnaître des objets, les dénombrer, reconnaître des visages ou des odeurs. Tout autant de savoirs qui ne relèvent pas du langage et qui ne sont pas transmis par les parents ou les professeurs.

Cette idée d’auto-organisation est au cœur de notre démarche et en totale rupture avec le courant du deep learning. Un enfant n’a clairement pas besoin de millions de données pour reconnaître un chat ou l’odeur de sa mère. Quelques cuillères de légumes et quelques exemples suffisent. Frugalité énergétique et parcimonie des données.

Notre première réalisation, InspireMe, conforme à ces principes et que nous vous présenterons prochainement vous convaincra que l’on peut faire beaucoup avec peu.

Références

Dawkins, R. (2003). Le gène égoïste. Paris: Odile Jacob.

Dehaene, S. (2018). Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines. Paris: Odile Jacob.

Dessalles, J.-L., Gaucherel, C., & Gouyon, P.-H. (2016). Le fil de la vie. La face immatérielle du vivant. Paris: Odile Jacob.