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Published on: Presse

On est dans l’hyperespace

Fidèles lecteurs de notre périple dans le monde de l’auto-organisation, rappelez-vous notre découverte de la mouche qui voulait devenir Jedi. A cette occasion, nous avions détaillé le fonctionnement de l’algorithme des cartes auto-organisatrices, celui-là même que nous allons mobiliser aujourd’hui pour construire nos hypothèses.

Repartons de notre distribution de points qui représente les relevés de taille et poids effectués sur les individus de notre monde un peu moins inconnu, puisqu’il s’agit du monde des Shadoks.

 

Plaçons maintenant une carte auto-organisatrice qui comporte deux dimensions. C’est un filet comportant 3600 nœuds dont les mailles carrées relient les nœuds les plus proches.

 

Ce filet nous permet de capturer des données (pour les poissons, adressez-vous aux pêcheurs). Totalement chiffonné au démarrage de l’algorithme, le filet va se déployer « tout seul ». Délectez-vous de la simulation captée dans la vidéo qui suit.

 

Vous reconnaissez au démarrage de la vidéo la distribution de points que nous avons établie à partir de nos relevés taille/poids de Shadoks. Le filet chiffonné se déplace pendant un petit moment, puis il commence à se déployer rapidement. Il finit son déploiement en ajustant finement la position des nœuds. A la fin de la vidéo, le filet carré s’est déployé régulièrement en suivant la forme circulaire de nos distributions. Une organisation du filet émerge naturellement et en observant attentivement nous voyons que les mailles du filet sont plus resserrées aux endroits où il y a des points de la distribution et plus relâchée ailleurs.

Voici donc comment l’organisation de ce filet émerge, seulement guidée par les données disponibles.

Vous en doutez ?

Prenons donc une autre distribution pour nous en convaincre avec notre même filet.

Voici maintenant une distribution de points qui forme deux régions carrées. Regardez comment le même filet va maintenant s’organiser. Fascinant, non ?

 

Plus fort encore, prenons toujours le même filet et maintenant jouons avec une distribution en 3 dimensions. La distribution décrit maintenant l’enveloppe d’une sphère. Regardez la manière dont le même filet s’organise.

 

Fournissons maintenant un immense effort d’imagination. La distribution n’est plus en 2 ou 3 dimensions mais en … autant de dimensions qu’il vous plaira. Que croyez-vous qu’il arrivera ? Sans aucun doute une organisation qui dépendra des données comment dans les situations précédentes mais une organisation que nous ne pouvons pas voir car personne ne sait représenter un filet en plus de 3 dimensions.

Alors, à quoi sert-il de jouer avec ces filets ?

Il ne vous aura pas échappé à travers ces vidéos que le filet ne s’organise pas n’importe comment. Faisons un petit zoom en superposant les points de la distribution et les mailles du filet.

Si vous sélectionnez deux points assez proches de la distribution, vous constatez que les nœuds du filet qui correspondent à ces points sont également proches. On dit « proches » car les nœuds sont reliés par une maille. Plus les points sont éloignés et plus les nœuds sont éloignés aussi.

Cela, vous pouvez l’observer en 2 dimensions mais aussi en 3 dimensions. Deux points proches à la surface de la sphère seront couverts par 2 nœuds du filets proches également.

C’est là que se situe la remarquable affaire : 2 points proches en 3D sont proches sur le filet… en 2D. Malgré le changement du nombre de dimensions (de 3 pour la distribution à 2 pour le filet) la notion de proximité reste malgré tout respectée autant que possible.

Vous aurez aussi remarqué que le filet « couvre » les régions qui ne comportent aucun point, comme c’est le cas dans la première vidéo avec deux distributions concentriques. Ainsi, certains nœuds du filet ne peuvent jamais correspondre à des points de la distribution car il n’y en a tout simplement aucun. Cela pourrait sembler curieux mais nous verrons prochainement que c’est au contraire très utile. Mais ne brûlons pas les étapes.

C’est par ce mécanisme qu’une représentation de données en grandes dimensions se construit en 2D par auto-organisation. C’est pourquoi on l’appelle une carte, par analogie avec les cartes géographiques que nous connaissons bien. Mais, dans notre cas, nous ne passons pas de 3D en 2D mais de n’importe quel nombre de dimensions, l’hyperespace, en 2D !

Pour conclure, je laisse la parole à Antonio Damasio qui est l’un des meilleurs spécialistes de la question des cartes corticales (Damasio, 2010) : « Ce qui distingue un cerveau comme celui que nous possédons, c’est l’aptitude étonnante à créer des cartes […]. Quand le cerveau produit des cartes, il s’informe. Les informations contenues dans ces cartes peuvent servir, sans passer par la conscience, à guider efficacement le comportement moteur, ce qui est des plus désirable si on considère que la survie dépend du fait de bien agir ».

Travaux cités

Damasio, A. (2010). L’autre moi-même. Les nouvelles cartes du cerveau de la conscience et des émotions. p.81, Odile Jacob poches.